(Cover photo - Credit Benjamin Benschneider/ZGF)
Il est environ onze heure du matin et comme d’habitude depuis l’arrivée des beaux jours, c’est l’heure à laquelle la paroi principale du mur qui vous fait face change d’aspect. Au fil de la journée, vous savez que la température qui monte va faire fondre cette paroi, et lui donner des teintes changeantes. Depuis que vous travaillez dans ce nouveau bâtiment vous avez bien sûr été curieux de constater l’absence totale d’appareils de climatisation.
Si tel est le cas, vous vous trouvez sans doute dans l’un des immeubles les plus avancés actuellement en terme d’isolation thermique. Le phénomène qui vient d’être décrit n’est pas pure fiction ; il s’applique au nouveau bâtiment d’ingénierie moléculaire de l’université de Washington. Le principe de fonctionnement repose sur des matériaux “intelligents” appelés matériaux à changement de phase – MCP.
Les MCP ne sont pas si nouveaux que ça en fait : cela fait de nombreuses années que les hommes utilisent de la glace pour conserver leurs aliments. On soustrait de l’énergie à l’eau pour abaisser sa température jusqu’à zéro, puis il faut encore retirer une quantité d’énergie supplémentaire pour changer la phase de l’eau : de l’état liquide elle va passer à l’état solide (la glace). Pour la même température, zéro degré, de l’énergie sera donc absorbée par le système pour ce changement d’état. Ce processus de changement de phase est très gourmand en énergie : en effet, selon Jan Kosny:
L’énergie consommée pour transformer un mètre cube de glace en eau liquide est la même que celle que vous devriez utiliser pour chauffer cette même quantité d’eau liquide jusqu’à 82°C.
Des pochettes incluant des MCP pour se chauffer durant l'hiver
Les MPC fonctionnent sur le même principe : ils absorbent de l’énergie sans changer de température, mais en changeant uniquement de phase. L’énergie apportée sert à rompre les liaisons moléculaires, non à augmenter la température du système. Chacun de ces matériaux est développé pour une utilisation précise, afin de mettre en accord la température de changement de phase avec l’application souhaitée. Par exemple, pour les revêtements de votre bureau, le MPC possède une température de changement de phase de 23°C afin de vous fournir des conditions de travail confortables.
Ces matériaux sont donc utilisés dans l’architecture pour jouer le rôle de « glaçons » régulateurs qui se refroidissent et durcissent pendant la nuit, lorsque la température descend. Tout au long de la journée, le soleil provoque la fonte progressive des murs ou des fenêtres, mais le matériau est guidé par des capillaires dans un système de circulation qui lui permet de réinjecter le MCP avant la nuit. L’énergie totale, nécessaire à la climatisation du bâtiment de l’université de Washington a ainsi baissé de 98%.
Un exemple de système incluant des panneaux MPC pour gérer la température
Les applications, bien sûr, ne s’arrêtent pas à l’architecture. En Chine, des systèmes sont actuellement testés sur des fermiers travaillant dans des conditions montagneuses extrêmes pour favoriser leur balance thermique lorsqu’ils ne font plus d’efforts et sont soumis au froid. La plupart des datacenters actuels fonctionnent grâce au water cooling.
Or ces système sont basés uniquement sur un changement de température de l’eau. En modifiant le matériel de refroidissement, et en utilisant un MCP qui fonctionne aux alentours de 30°C, le gain en énergie serait important. Enfin, l’industrie solaire pourrait elle aussi bénéficier de l’émergence des MPC. Les fermes solaires qui concentrent les rayons du soleil sur un réservoir accumulateur utilisent actuellement des sels fondus pour le stockage. Le processus d’extraction de cette énergie accumulée demande une infrastructure conséquente qui pourrait être évitée avec l’utilisation de MCP.
Même si il y a quelques années, ces matériaux étaient la cible d’une recherche anecdotique par des précurseurs comme Jan Kosny, n’étaient alors considérés que comme des applications amusantes. Les préoccupations actuelles de réduction des consommations énergétiques font des Matériaux à Changements de Phase des candidats incontournables dans le développement de projets économiques et écologiques. A quand le premier bâtiment incorporant des MPC en France?
Article initialement publié sur Locita.fr le 12 Juin 2012 : http://fr.locita.com/digital/des-murs-qui-fondent-pour-remplacer-la-climatisation-77519/